Le Golden Boy me voit, il est armé. Plutôt que de me viser, c’est sur elle que son canon est dirigé, il presse la détente. La balle part, mais une balle dans ce monde, ce n’est pas comme chez vous. Cette balle produit à la détonation un effet que vous appelez big bang. La genèse d’un monde se trouve dans ce tir, un tir de haine et de colère, de jalousie et d’envie. Je dois l’arrêter avant qu’il n’aboutisse, avant qu’il ne la tue. Je le ferai même si cela implique de ne jamais vous donner naissance, à vous et à votre espèce.
Développeur : Feral Cat Den
Éditeur : Fellow Traveller
Genre : Aventure, Espace, Point’n Click, Puzzle
Plateformes : XBOX, PC, SWITCH
Durée de vie : 5 à 6h pour le 100%
Il est cinq heures. L’eau ruisselle dans le caniveau, encore un temps dégueulasse. Rien à tirer de cette ville. Les clients n’affluent pas, sans doute trop occupés. Je vends une montre, j’arrive à en vendre une deuxième, un passant râle, je veux me tirer La pluie continue de tomber, plus loin, de l’autre côté de la rue. Une fumée s’échappe, ça vient du diner. Ce foutu diner. Ouvert 24 heures sur 24, il ne sert que des clients apathiques et ennuyants. Tout empeste ici mais eux, eux c’est encore pire. Loubards, divinités, êtres cosmiques, enquêteurs en herbe comme moi font la fierté de l’établissement. On ne rate jamais une occasion d’aller se mettre un petit coup dans le nez et un autre encore…Jusqu’à plus soif. Mais c’est dans ce diner là que je me suis perdu, tout ça à cause d’elle…ou de moi. Je ne savais pas à quoi m’attendre lorsqu’elle m’a ouvert la porte, je savais que je n’étais pas le premier…ni le dernier. Elle fricotait avec ce type, le golden boy, une ordure narcissique… une de plus, ou de trop dans cette ville.
Un dernier client râle, c’en est assez, je me tire, je vais la rejoindre. Je monte les escaliers, le clocher sonne six heures, six coups qui me défoncent le crâne, comme les balles d’un revolver. J’ouvre la porte, elle est là, nue. Elle essaie de se couvrir avec ses draps mais ne me regarde pas, elle n’est pas seule.
Le Golden Boy me voit, il est armé. Plutôt que de me viser, c’est sur elle que son canon est dirigé, il presse la détente. La balle part, mais une balle dans ce monde, ce n’est pas comme chez vous. Cette balle produit à la détonation un effet que vous appelez big bang. La genèse d’un monde se trouve dans ce tir, un tir de haine et de colère, de jalousie et d’envie. Je dois l’arrêter avant qu’il n’aboutisse, avant qu’il ne la tue. Je le ferai même si cela implique de ne jamais vous donner naissance, à vous et à votre espèce.
Le Big Bang revisité
Genesis Noir, où comment un dieu veut empêcher l’avènement de l’humanité
Arrivé dans notre galaxie en mars 2021, Genesis Noir est un jeu atypique qui ne ressemble à rien de ce que vous connaissez. Vous y incarnez un homme en impair, vendeur de montres dans son univers, qui surprend une autre divinité sur le point d’abattre une aphrodite. Entre le point de détonation de son revolver jusqu’au bout de la trajectoire de la balle se trouve un univers entier, le nôtre. Il s’agit de la théorie du big bang métaphorisé en une infidélité divine. Notre homme en impair va donc devoir traverser différentes étapes de notre genèse pour empêcher la balle d’arriver à sa destination.
Vous l’avez compris, nous sommes ici sur un jeu particulièrement original. La thématique de l’avènement de notre monde est un sujet que l’on ne voit que très peu, probablement parce qu’il est très difficile à traiter sous la forme d’un jeu vidéo. L’équipe de Feral Cat Den, un petit studio basé à New-York s’est essayé à ce challenge en présentant Genesis Noir. Vendu comme un point’n click bourré de puzzles à résoudre, il est ce que j’appellerai un jeu inqualifiable ou trop différent des autres pour l’être.
Ainsi, en me lançant dans cette aventure, je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais devoir faire ou même des thématiques que le jeu allait traiter. Minimaliste au possible pour les explications du scénario, il est assez difficile de comprendre le jeu. Il n’y a quasi ni dialogue ni texte, tout se comprend par le gameplay et les évènements qui se succèdent. Parfois, on pense comprendre et parfois on est totalement perdus. L’infiniment grand se confond avec l’infiniment petit, et en tant qu’individus anecdotiques de cette galaxie, il est ardu de percevoir l’ensemble de l’équation. Je me suis pourtant surpris à accepter de ne pas tout comprendre. Cela ne devenait pas un défaut imputable au jeu mais plutôt une vérité complexe à intérioriser. Après tout, on joue avec la création du monde.
Il ne nous reste plus qu’à embarquer dans cet ovni du jeu vidéo mêlant Jazz, film noir et genèse…
Changer le monde, changer le monde, vous êtes bien gentils mais comment on s’y prend ?
A l’intérieur de la trajectoire de la balle (voir image 1), se trouvent de nombreuses étoiles qui correspondent à un niveau. Chaque niveau est une sorte de mini-jeu dont vous allez devoir comprendre le gameplay avec une phase de « tutoriel dissimulé ». Tous les mini-jeux sont différents et situés à des époques différentes. Vous pouvez tout aussi bien commencer à planter les premiers arbres de notre planète que faire décoller les dernières fusées destinées à coloniser d’autres mondes.
Ce spectre temporel varié est votre terrain de jeu. L’objectif est de terminer chacun de ces niveaux pour obtenir une clé de verrouillage. En réunissant toutes les clés, vous pourrez stopper la genèse de ce monde (donc la balle) et sauver la nymphe. C’est suffisamment perché pour être intéressant mais sans doute un peu trop pour que l’on se sente pleinement investi dans cette aventure.
Pour parler de ces mini-jeux, ils durent approximativement 20-30 minutes chacun et peuvent être refaits une fois l’histoire terminée. Par exemple, le premier consiste à trouver des graines qui absorbent la lumière et d’autres qui absorbent les ténèbres pour déblayer le chemin jusqu’à la fin du niveau. Un autre vous demande de jouer en accord avec un musicien pour parfaire votre duo. Le plus énervant fut pour moi le mini-jeu de l’oscilloscope où vous devez retrouver une fréquence exacte à partir de dessin et calculs. Bien qu’il ne soit pas compliqué, je suis désespérément mauvais à ce type de jeu. Cela m’a rappelé ma détresse lors du test sur Observation.
Malheureusement, ces mini-jeux ont pour défauts principal… de ne pas être ludiques. Si Genesis Noir est intéressant dans son ensemble, je n’ai pas franchement eu l’impression de m’amuser dessus. Il ne suscite pas d’émotions particulières et on se retrouve à enchaîner des mini-jeux sans trop savoir où l’on va. De ce fait, je me permets de qualifier Genesis Noir comme une expérience interactive plutôt qu’en tant que jeu-vidéo.
Je me pose alors la question de l’étymologie même de jeu-vidéo, doivent-ils forcément être ludiques ? La réponse évidente est sans doute que oui ils doivent l’être. Mais avec des jeux comme Genesis Noir, la question mérite d’être soulevée. L’expérience proposée est intéressante sans être particulièrement ludique. Dès lors, ce n’est plus le jeu mais la réflexion qu’il offre qui nous procure une sensation d’amusement. Je ne souhaite pas particulièrement développer ce point ici, aussi je vous propose de donner votre opinion en commentaire.
Plus qu’à faire tourner la galaxie et le travail est fait !
J’aimerais tout de même nuancer mon propos, ce n’était pas amusant mais ce n’était pas ennuyant non plus. Ayant été jusqu’au bout du jeu, je devais sans doute être captivé par Genesis Noir malgré tout. J’avais même du mal à en décrocher, il a ce petit quelque chose, cette atmosphère inconnue dans laquelle j’étais happé.
Les minis-jeux étaient même pour la plupart plutôt intéressants à jouer et le fait de traverser les époques rendaient le tout agréables à suivre. Cela pouvait se jouer dans des détails comme lorsqu’il faut pratiquer le Kintsugi (金継ぎ) ou art de recoller les objets cassés avec de l’or. Ou bien lorsque j’ai reconstitué des constellations entières juste avec le tracé de ma manette. C’est à la fois simple et suffisamment varié pour que l’on fasse toujours des choses différentes. Les sessions de jeu ne se ressemblent pas et c’est un vrai coup de frais dans l’industrie.
La seule chose qui persiste dans cet univers, c’est sa direction artistique. Probablement le phare qui fait ressortir Genesis Noir d’une myriade d’autres jeux, cette DA très orientée sur le noir est on ne peut plus séduisante.
La genèse d’un monde sans couleur
Si vous vous rappelez de ces longues heures passées en cours de physique-chimie au collège-lycée, vous vous êtes forcément arrêtés sur le chapitre des couleurs, des spectres de lumière. On y apprend que le noir n’est pas à proprement parler une couleur mais plutôt l’absence de lumière. Le choix artistique d’un monde sans lumière et donc entièrement noir est alors évident pour établir la direction artistique de Genesis Noir. Vous errerez dans ces nuances de noir qui s’accompagnent d’un blanc vif qui ne sert en réalité qu’à mettre en exergue ce noir. Tout comme dans les films noirs, l’intérêt du manque de couleur est qu’il permet de jouer avec une lumière faiblarde. Cette même lumière ouvre la porte aux interstices cachés, à ses petites zones d’ombres qui se fondent dans la masse ténébreuse.
On peut le dire, la direction artistique de ce jeu est une pure réussite. C’est beau et c’est surtout inhabituel. Là où le cinéma a connu l’époque sans couleurs, où la BD connait le manga, le jeu vidéo n’a que très peu connu l’époque du noir et blanc. On retrouve des traces des couleurs verte et rouge, jaune avec Pac-Man sur borne d’arcade en 1977 alors que le jeu vidéo n’en était encore qu’à ses balbutiements (Pong ne date que de 1970). On ne peut donc pas vraiment dire que l’absence de couleur soit quelque chose de marqué dans le jeu vidéo. Par conséquent, avoir entre les mains une direction artistique se reposant sur le blanc et le noir provoque un effet séduisant, ironiquement rétro. On retrouve bien sûr d’autres jeux qui s’amusent avec ce type de DA comme Minit, Night Call et dans une moindre mesure Return of the Obra Dinn. De plus, on utilise généralement le noir et le blanc pour montrer un évènement antérieur comme dans un flashback. Il n’est pas rare de voir un jeu perdre ses couleurs dans le cadre du récit pour affirmer au joueur un changement de temporalité.
Mais ce qu’ont ces deux « couleurs » de passionnant, c’est qu’elles permettent de mettre en exergue une troisième couleur. Lorsque le jaune fait son apparition dans Genesis Noir, vous comprenez intuitivement que cet élément est nécessaire à la narration et qu’il faut donc interagir avec. C’est dans ce genre de cas intelligent que la DA contribue à la fois à la mise en scène mais aussi à l’expérience utilisateur.
Je vous laisse quelques clichés avant d’attaquer la partie sonore.
Le monde au pavillon d’un saxophone
S’il est vrai que j’ai été déçu par le gameplay de Genesis Noir, c’est très loin d’être le cas concernant sa bande-son. Elle ne plaira sans doute pas à tout le monde mais je la trouve excellente. Psychédélique, complètement barrée et accompagnant à merveille les évènements du jeu, le travail réalisé par Skillbard est exemplaire.
On alterne fréquemment entre les sonorités du Jazz et du saxophone lorsque l’on se trouve dans des univers « classiques » et ces parties s’écoutent à merveille même en dehors du jeu. A d’autres moments comme lors du niveau au « Japon », les sons se font plus classiques à base de shamisen et autres instruments typiques. Ce n’est pas juste l’affaire du « insérer musique asiatique » pour coller à l’ambiance, on sent qu’il y a une véritable recherche musicale pour rendre le jeu fou dans sa présentation mais cohérent avec son univers.
Par ailleurs, un niveau complet et dédié à la musique, preuve de l’importance qu’accorde le studio à cet élément du jeu. Dans celui-ci, vous jouez de concert avec un musicien de rue. Vous apprenez quelques mouvements par répétition (rien de folichon), puis vous faîtes votre duo. Et de cette ambiance déjantée ressort un personne, une maison, un quartier, un univers complet. Le message est que la musique aussi représente un univers non négligeable de nos vies.
Je ne peux que vous recommander l’écoute de la bande-son de Genesis Noir ou de jouer au jeu pour en profiter ! C’est spécial mais ça pourrait vous plaire. Elle se trouve à la fin du test.
Harmoniser
En guise de conclusion de cet univers Cosmicomics
Je n’en ai pas parlé jusqu’à présent mais Genesis Noir a lui aussi une origine. Il s’agit des écrits Cosmicomics (ou Cosmicomiche) de l’italien Italo Calvino. C’est un recueil de douze textes qui traitent de l’origine du monde et d’autres faits liés à la genèse. L’idée est de partir d’un fait scientifique, quelque chose dont on est presque sûr, et de rédiger une histoire autour. Un peu à l’image d’un Jules Verne, ce type d’écrit a pour but de réconcilier littérature et science. C’est un être au nom palindrome de Qfwfq qui se charge de conter ces histoires. Je ne m’aventurerai pas plus dans ce sujet étant donné que je n’ai pas encore lu Cosmicomics (environ 500 pages) mais ce recueil m’intéresse grandement !
En revanche, nous pouvons voir les ressemblances avec Genesis Noir du fait de la présence de cet être « cosmique » et même s’il n’est pas directement nommé, nous pouvons aisément imaginer que notre détective se nomme Qfwfq. Cette inspiration revendiquée par le studio permet de comprendre les ambitions du jeu. S’il s’agissait de montrer la naissance d’un monde alors oui, la tâche est réussie.
Genesis Noir est loin d’être parfait, il comporte de nombreux défauts de Gameplay, on ne s’y amuse pas particulièrement et il brouille un peu trop les pistes dans son premier tiers. Cependant, on se laisse facilement embarquer dans sa direction artistique et sa bande-son qui relèvent sans aucun soucis le niveau et font oublier les défauts du jeu. Au cours de l’aventure on se sent véritablement témoin de quelque chose de grandiose, quelque chose qui nous échappe. L’infiniment grand et l’infiniment petits se complètent dans un organisme cosmique bien trop supérieur à nos capacités de compréhension.
Si une seule chose ressort de Genesis Noir pour moi, c’est qu’il permet d’entrevoir un fait unique et simple. On ne peut pas tout comprendre.
Le tableau récapitulatif
Points positifs (+)
Points négatifs (-)
(+) Une très bonne direction artistique
(-) Souvent pas très intéressant à jouer
(+) La bande-son, psychédélique et cohérente
(-) Un game desing parfois non intuitif
(+) Une genèse volontairement incompréhensible
(-) Bon jeu mais mauvais point and click
(+) Quelques bonnes idées de gameplay
(+) Une bonne expérience
Et voilà, c’en est tout pour ce test. Encore une fois merci de votre lecture, ça me touche de voir que des lecteurs continuent de venir consulter un test ou deux. J’espère continuer à vous apporter un travail satisfaisant tout au long de l’année. A très vite pour un autre test.
Passionné par le jeu vidéo depuis tout petit avec pour premier jeu Baldur's Gate, je ferai sur ce site des tests de jeux vidéos, ainsi que des articles sur divers sujets liés à ce média que j'affectionne énormément.
La sélection des jeux sera purement aléatoire et je souhaite que vous preniez autant de plaisir à me lire que j'en ai à écrire.
Le jeu vidéo est un média à part, hybride de par sa capacité à interagir entre le virtuel et le réel, j'essayerai donc de toujours proposer des jeux suscitant nos émotions de joueurs et non de simples objets commerciaux sans âmes.
Débutant dans le monde de la critique, n'hésitez pas à faire des retours vis à vis de ce que je produis du moment que vos retours sont constructifs.
Pour répondre à ta question, je ne pense pas qu’un jeu vidéo doive être ludique. Le mot « jeu » induit en erreur, mais nécessite à mes yeux simplement une interaction. Le débat avait été posé avec The Last of Us Part II, qui est lourd à digérer, mais il demeure bel et bien un jeu vidéo. En tout cas, c’est vrai que la DA de Genesis Noir est originale. L’écran n’est parfois pas trop brouillon ? Merci pour ce test réfléchi, continue ainsi 😀
Je suis entièrement d’accord avec cette définition de ludique. Le jeu vidéo est plus matière à interaction comme tu le soulignes que « jeu ». Concernant l’écran de Genesis, il arrive que le jeu soit un peu brouillon par un trop plein d’informations mais généralement ça reste assez lisible. Merci beaucoup ! 🙂
Pour répondre à ta question, je ne pense pas qu’un jeu vidéo doive être ludique. Le mot « jeu » induit en erreur, mais nécessite à mes yeux simplement une interaction. Le débat avait été posé avec The Last of Us Part II, qui est lourd à digérer, mais il demeure bel et bien un jeu vidéo. En tout cas, c’est vrai que la DA de Genesis Noir est originale. L’écran n’est parfois pas trop brouillon ? Merci pour ce test réfléchi, continue ainsi 😀
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Je suis entièrement d’accord avec cette définition de ludique. Le jeu vidéo est plus matière à interaction comme tu le soulignes que « jeu ». Concernant l’écran de Genesis, il arrive que le jeu soit un peu brouillon par un trop plein d’informations mais généralement ça reste assez lisible. Merci beaucoup ! 🙂
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