Développeur : thatgamecompany
Éditeur : Annapurna Interactive
Genre : Exploration, Contemplatif, aventure
Plateformes : IOS, PC, PS3, PS4

Lentement mes yeux s’ouvrirent. Une lueur, forte, intense m’aveugla et une douce chaleur parcourait mon corps. Quelque chose ruisselait sur moi… Ce n’était pas de l’eau. Lorsque je pris conscience de là où je reposais je remarqua devant moi le vaste désert qui s’étendait, il semblait infini.
Les grains de sable qui le composent se montaient les uns sur les autres dans le même but de ne former qu’un tout. Oui, ce sable était devant moi, derrière moi. Il était partout. Il paraissait vivant.
Chaque rayon du soleil venait recouvrir l’ensemble de cette masse insondable qui me contemplait. Elle m’avalait, et je sentais peu à peu son attraction. Je la regardais aussi. Nous étions ensemble, le sable et moi… nous ne formions qu’un.

Alors que je recouvrais totalement la vue, je la vis. Elle était plus haute que toutes les tours, transperçait le ciel. Elle ne semblait pas avoir de sommet. Cette montagne me reflète. Elle m’appelle. Et je vis au loin une lumière, oui, elle était sur la montagne. Plus intense que le soleil encore, elle semblait me fixer. Je devais y aller. Je dois y aller. Il le faut.

Un voyage onirique au pays du sable

Bienvenue dans ce test sur Journey, un jeu contemplatif qui à l’époque de sa sortie sur PS3, a charmé plus d’un joueur et continue encore aujourd’hui de nous faire rêver, nous voyageurs.

Journey ne résume pas tout à fait par les mots, il est un de ces jeux difficiles à appréhender. Sa vocation première est de susciter chez celui qui s’y essaie, des émotions. Lors de votre session de jeu, tout un panel de sentiments viendront vous porter dans cette aventure reprenant certains principes du monomythe. De plus, le jeu ne cherche pas à embrouiller le joueur, il se veut accessible et ses mécaniques de gameplay très simplistes sont là pour vous y aider.

Tout le monde peut s’essayer à Journey si tant est qu’il maitrise une caméra, mais chacun n’en ressortira pas avec le même ressenti.

Votre tâche est ici très claire, vous vous réveillez dans le désert, vous êtes seul. Mais devant vous, une immense montagne vous contemple, et en son sein brille une lumière d’un éclat intense. Pas besoin de mots, vous comprendrez bien vite que le voyage a déjà commencé.

Your journey begins

Beau et poétique à souhaits, Journey vous invite dans son élégant paysage désertique. Alliant avec une grande délicatesse des couleurs chaudes, sa direction artistique vous fait très vite comprendre que vous évoluez là dans un monde dénué de vie. L’apocalypse est déjà passée, tout ce que vous avez connu a disparu, recouvert par le désert.

Le sable vient ici comme un élément métaphorique dont nous parlerons plus tard mais également comme un élément habile de Gameplay. C’est avec une grande mélancolie que je le parcourais, comme si je marchais sur l’ancien monde.
Mais lorsque viennent les grandes glissades, sublimées par une OST composée par Austin Wintory d’une très grande justesse avec le jeu, ce sable devient une source d’amusement. On se retrouve à le parcourir avec un plaisir jusque là difficilement égalé dans le jeu vidéo prenant pour thème le sable.

Votre objectif sera ici de rejoindre la montagne. Bien que vous en ignoriez la raison, vous savez ce que c’est la chose à faire. Pour cela votre quête s’établira en suivant le chemin du mini héros. A la différence des jeux traditionnels, votre avancée ne se fait pas au fil d’énigmes mais plutôt par le biais du chemin à trouver.

Parmi ce désert vous devrez trouver la prochaine plateforme, le prochain élément planté dans le décor qui vous permettra de progresser. Ici, il est inutile de dire que vous allez vous battre, Journey s’abstrait de presque toutes notions de violence et vous ne pourrez que sauter, courir et carillonner.

Bon alors je prends à gauche ou à droite pour sortir ?

Carillonner c’est bien là votre seule vraie compétence. En plus d’activer d’anciens systèmes perdus, elle permet également de remplir une jauge sur votre écharpe. Cette jauge constitue la durée totale du saut que vous pourrez effectuer. Le saut étant le moyen de transport le plus courant dans le désert.

Plongé dans de nombreux décors vous aurez donc la possibilité de découvrir en partie le secret de ce qu’il s’est passé en votre absence mais aussi tout simplement de vous émerveiller devant ce travail. Si quelques salles renfermées paraissent de prime abord moins élégantes que les courbes des dunes de sables, thatgamecompany a su trouver un très bon équilibre pour réussir à amener de la beauté dans l’intégralité de son jeu.

Un mode multijoueur

Croyez-le ou non, Journey dispose bel et bien d’un mode multijoueur. Si celui-ci est minimaliste, il est je pense, important d’en parler.

Naviguant entre les délicates vagues de sable, j’entendis au loin un carillon résonner. « Ce n’est pas le mien. » Me dis-je alors. Pourtant je l’entendis à nouveau, et une autre fois plus fort encore.
A mesure que je l’entendais sonner, je décidais de rejoindre son emplacement le plus probable. Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis un être identique à moi, sonner de la même cloche pour assembler ses morceaux d’écharpe.

Ma première réaction fut alors de la sonner avec lui. Nous passâmes environ 2 minutes entières à se sonner l’un l’autre. Je ne connaissais ni son nom, ni son temps de jeu. Pourtant, durant ces mêmes 2 minutes, lui et moi étions deux personnes connectées. Ce rapprochement fut d’autant plus intense que je n’avais jusqu’ici croisé personne et que je m’attendais à parcourir l’entièreté du jeu seul.

Je pris alors la peine de remarquer un élément simple et pourtant si évident. Les développeurs ne m’ont pas donné la possibilité de voir son nom, de le toucher, de le pousser ou bien même d’effectuer une quelconque action pouvant le nuire. La toxicité est ici proscrite.

Ma deuxième rencontre fut encore plus importante, alors même que je parcourais la fin du jeu. Avec un autre joueur, nous nous promenâmes dans la vaste zone (que je ne spoilerai pas) et nous nous entraidions souvent pour parvenir jusqu’au bout de cette zone.

Deux sentiments vinrent à moi. Le premier était l’énervement. Je voulais faire Journey entièrement seul pour, selon mes dires : « Profiter au maximum de l’expérience de solitude ».
Le second sentiment était la tristesse mêlée avec la joie. Je me surpris à être triste quand je ne voyais plus mon compagnon d’infortune sur mon écran, et à éprouver un véritable soulagement lorsque celui-ci apparaissait.

Avais-je réellement envie d’être seul ? Ou bien étais-je devenu triste de remarquer que je l’étais ?

C’est alors que je compris toute l’importance de ce mode multijoueur. Nous étions, moi et les autres de ma session, un tout. Un ensemble de héros partageant le même objectif de conquête de la montagne. Seules nos chemins se croisaient, et l’impact émotionnel qui en résulte n’en devenait que plus grand. Non je ne suis pas seul. Je joue à un jeu solo avec d’autres joueurs.

C’est cette interconnexion entre différents êtres vivants au même moment la même expérience qui rendit pour moi ce jeu tout simplement grandiose.

Bon ça parle, ça parle mais il y a bien des défauts ?

C’est le point le plus difficile à juger ici. En un sens, je n’ai pas trouvé un seul défaut à Journey dans son game-design, ses musiques, ses graphismes ou son histoire. Tous les reproches que l’on peut faire à ce jeu seraient plutôt de l’ordre du « c’est minimaliste, on y fait pas grand chose ».

Et même là, ce serait de mauvaise fois pour plusieurs raisons. L’aspect minimaliste est volontaire, le jeu ne permet pas de grandes actions et pourtant ce sont bien des grands moments qui vous sont offerts. Cette quête de la montagne permet de passer d’étendues désertiques à des bas-fonds moins accueillants et chaque nouveau paysage amène son lot de nouveauté. Le jeu est court, environ 2h mais ce sont deux heures tellement bien remplies que je ne prends pas ça comme un défaut.

Journey constitue une excellente entrée en matière pour quiconque souhaite expérimenter le jeu indépendant. Le monomythe est ici bien respecté et la narration minimaliste voire inexistante permettra aux joueurs de se forger une interprétation personnelle sur le sujet traité.

Ce qui m’amène dès lors, à la seconde partie de ce test : l’interprétation.

On va rentrer dans le vif du sujet maintenant

Pour ceux qui n’ont pas fait Journey, cette partie contiendra du spoil, vous êtes prévenus.

Le titre de cet article est ici : du voyage à la transcendance. Je vais dès à présent faire part de mon interprétation personnelle sur Journey, celle-ci peut être évidemment discuté en commentaire. N’hésitez pas !

Comme je l’ai évoqué précédemment, Journey reprend les codes du monomythe, c’est-à-dire un schéma de solitude et de départ à l’aventure, une rencontre avec un mentor puis une chute, jusqu’à l’assouvissement de la quête.

Ces différents éléments sont alors répertoriés dans le jeu dans cet ordre bien que le mentor soit plus sujet à controverse. Pour ma part, je vois en Journey une quête identitaire au delà même de l’aspect de la forme physique : je parle ici de l’âme.

En débutant notre aventure, notre petit personnage est seul, ignorant de tout, jusqu’à ses capacités, il doit alors prendre conscience de son corps, pour cela il marche au début, puis découvre qu’il peut sauter et enfin glisser. Le level design de l’introduction permet cette étape cruciale dans la compréhension à la fois de notre personnage de lui-même mais aussi pour le joueur de ce qu’il peut faire.

Autrement dit, nous prenons conscience de notre forme physique, de ses caractéristiques comme de ses limites.

Si cette idée simple apparaît au début de pratiquement tous les jeux, je l’ai trouvé particulièrement bien retranscrite dans nos premiers pas sur le jeu alors même qu’il n’y a que très peu de mouvements possibles.

Le monde s’étend devant nous

Nous entrons alors dans cette seconde partie qu’est la découverte extérieure. Après avoir pris conscience de son corps, l’étape importante de l’être conscient est de comprendre son environnement. Journey va alors nous faire remarquer son vaste désert, sa montagne mais surtout ses très nombreuses ruines antiques dont les portes sont scellés.

Les questionnements tournent autour du pourquoi les portes sont fermées ? Y-a-t-il un moyen de les ouvrir ?
Pour autant celles-ci demeureront fermées. Ici plusieurs interprétations sont possibles, mais ma théorie tourne autour de l’idée que ce sable représente notre niveau de conscience, plus il y a du sable, plus notre conscient est recouvert et il nous est donc plus difficile d’accéder à un certain niveau de savoir. Les portes fermées ne seraient qu’une image renvoyé par l’esprit indiquant que nous ne sommes pas prêt à découvrir le secret. (Notre conscient.)

Pour filer mon idée du sable représentant notre niveau conscient, j’ajouterai qu’au fil du jeu, le joueur remarquera que la taille des étendues de sables est très variable si bien que celui-ci diminuera au fil de l’aventure pour devenir neige puis ciel.

Toujours en suivant le déroulement de l’aventure, voici la suite de cette interprétation. Nous arrivons bien vite à un stade du jeu où notre personnage ne peut s’en sortir seul, il a besoin des espèces de morceaux d’écharpes vivants pour voler suffisamment haut. J’y vois ici une métaphore du besoin de connexion sociale qu’ont les individus afin pouvoir se développer, ici s’envoler. Le vol et le toucher du ciel étant les thématiques récurrentes pour l’accès soit au divin, soit au conscient.

Le mentor a également cette double fonction de l’ami – état dans lequel nous voulons être

Lorsque nous sommes dans la difficulté, nous sommes forcément dans un état « sous ». C’est-à-dire une position géographique inférieure, plus basse que l’épreuve que nous traversons.

Littéralement écrasé par ce sable, cette pression qui nous accable, nous tombons. Bienvenue dans un certain niveau de conscience. L’échec.

Nous avons échoué à notre quête, cette montagne semble pour toujours inaccessible et nous voici dans les abimes profond de ce monde, pourchassé par une mystérieuse machine antique.

Cette machine représentera dès lors l’adversité. Toujours dans l’optique d’un conte, il nous faut un ennemi identifiable pour que nous puissions avancer, c’est dans l’affrontement que nous évoluons. Il n’est pas d’évolution sans opposition.

Notre alternative pour « remonter la pente » sera d’utiliser ce que nous avons appris depuis la base. Tout d’abord les mouvements de notre entrave physique qu’est le corps du personnage, puis de du réapprentissage des mécaniques du jeu en s’élevant toujours de plus en plus haut, pour cela nous comptons sur nous-même, notre environnement mais aussi les autres entités. Ce voyage n’est pas si solitaire que ça.

Ainsi nous pouvons résumer brièvement ces étapes de Journey par : la conscience de son corps –> La conscience de son environnement –> Le développement personnel par la combinaison de ces éléments.

Passons maintenant à la dernière partie de cette histoire je vous prie. Nous arrivons à remonter la pente, tout va pour le mieux et nous voici à la montagne. Il ne reste plus qu’à la gravir et toucher du doigt cette intense lumière.

De la thématique de l'ascension

Cette montagne représente l’ultime obstacle à franchir, elle sera composée essentiellement de neige… Cette même neige a, à mon sens une symbolique très intéressante.
Si nous avons traversé de vastes étendues de sable jusqu’ici, c’est la première fois que nous sommes au contact de la neige. Celle-ci a une propriété que le sable n’a pas, elle disparaît, se transforme en un état aqueux et en ce sens témoigne d’une évolution. En plus de remplir son rôle environnemental d’offrir à la fois un jeu de couleurs nouveau, elle conserve l’aspect lourd du sable mais nous savons consciemment que son état de neige n’est pas forcément permanent.

Comme l’humain, la neige peut changer. Elle n’est pas statique comme le sable. Témoignant donc d’une transformation personnelle. Le voyage a déjà débuté il y a longtemps.

Mais revenons à notre montagne. D’un point de vue de l’image et du mouvement, gravir une montagne signifie s’élever. Par cette ascension nous grandissons à l’aide de tous les acquis reçus dans le monde d’en bas. Symboliquement, une montagne fait partie du panel du divin et la franchir est une épreuve. Si nous y parvenons, alors une forme de transcendance prend forme en nous du fait de ce contact avec le supérieur. Littéralement le monde d’en haut.

Tout ce voyage initiatique du début, ces erreurs et apprentissages, cette chute, nous mènent tous vers ce même objectif. Celui de devenir plus. Nous atteindrons l’apothéose de ce moment lorsque nous traversons le ciel. Libéré de nos entraves il ne nous reste plus qu’à saisir cette lumière. A partir de cet instant, nous sommes devenus des êtres accomplis.

Ainsi Journey va réellement accomplir sa fonction-voyage. Le but premier de celui-ci est d’apprendre à se découvrir et c’est précisément ce que le joueur fait lors de la quête de son carillonneur mais aussi ce que nous, humains faisons dans la vraie vie lors d’un voyage. On prend le temps, de se connaître comme d’apprécier le monde environnant, nous cherchons à élargir notre monde en repoussant chaque jour un peu plus les limites de notre destination.

Celle de Journey est irréelle ? Et alors ? Nous vivons cette expérience comme une véritable excursion au sein de notre propre psyché, ce développement peut être conscient comme inconscient mais nous ne sortons jamais de cette expérience indemne.


Finalement, notre lumière retraverse notre histoire jusqu’à revenir à son point d’origine car oui, le voyage est long. Est-ce toujours vous à cet instant ? Je l’ignore, mais ce voyage n’est pas destiné qu’à un seul joueur mais bien à tous.

Cela dépendra de chacun des joueurs, l’action de « grandir » peut être vue de nombreux points de vue, pour certains cela sera de surmonter une épreuve, une tragédie. Pour d’autres il s’agira de prendre ses responsabilités vis-à-vis du monde. Mais tous, sans exception, avons besoin de grandir et d’évoluer pour devenir des versions toujours plus bonnes de nous-mêmes.

Et ce voyage, Journey vous l’offre au travers de son histoire. Chacun peut accéder à cette transcendance, et tous peuvent atteindre la montagne pour peut-être un jour, devenir le mentor d’un autre aventurier…

Points positifsPoints négatifs
(+) Une bande-son magistrale d’Austin Wintory(-) La mécanique de l’écharpe pas toujours optimale (en chipotant)
(+) Un multijoueur expérimental discret et aléatoire efficace
(+) Le monomythe parfaitement retranscrit
(+) Les paysages désertiques enchanteurs
(+) Un véritable voyage initiatique

Journey est un des jeux qui a ouvert la porte au monde du jeu indépendant à nos consoles de salons. En le faisant une dizaine d’années après sa sortie, on se rend compte d’à quel point celui-ci a marqué toute une génération de joueurs tant lorsque l’on évoque Journey, son nom continue de résonner dans le cœur de ceux qui s’y sont essayés. Il est d’autant plus agréable de voir que Journey est un jeu encore joué aujourd’hui et que sa bande-son continue de ravir nos oreilles pour nous emmener toujours plus loin dans ce grand voyage qu’est la vie.

Merci de votre lecture et à très vite !

Liens :

Tout d’abord la bande-son du jeu :

Et un très bon podcast de Fin du Game sur le sujet :

3 commentaires »

  1. J’ai beau aimer les jeux indés, j’ai testé quelquefois le début de Journey, en vain. Je n’arrive vraiment pas à me laisser porter par le jeu. Je vais sans doute retenter à l’avenir, m’enfin ! Quoiqu’il en soit, ton article mérite d’être lu. Je ne doute pas que c’est un jeu fascinant à interpréter/analyser !

    Aimé par 1 personne

  2. J’avais eu également le retour de joueurs comme quoi l’introduction de Journey ne passe pas. Il est vrai qu’on peut ne pas vraiment se sentir investi dans le jeu sur ses premiers instants du fait de ce sentiment de « perdition » qu’il essaie de nous donner.
    Je pense néanmoins que le jeu vaut vraiment le détour mais comprends tout à fait qu’il puisse ne pas plaire à cause de ses mécaniques trop simples et sa narration limitée.
    Peut-être attendre d’être dans un certain mood pour pouvoir le lancer mais parfois certains jeux ne passent juste pas ^^ Merci pour ton commentaire toujours très apprécié ! 🙂

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